Mélina Germes
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La recherche, cartes sur table
« Dans un livre de géographie, il y a du texte et des images » plaisante la chercheuse. Dans un premier temps, c’est la dimension visuelle de la géographie qui lui a fait de l’œil. Mais surtout, elle explique que « c’est une discipline qui permet de s’interroger de manière critique sur le monde tel qu’il est, pourquoi il est tel qu’il est et comment le changer. »
Après avoir travaillé sur le shopping et les pratiques de consommation à Bordeaux lors de sa thèse, Mélina Germes déménage en Allemagne pendant 6 ans pour étudier un tout autre sujet. Une offre de bourse pour un post-doctorat lui permet de se pencher sur les discours en lien avec la sécurité et l’insécurité ainsi que sur les cartographies policières. « Là-bas, j’ai découvert de nouvelles thématiques, un nouveau champ de recherche, de nouvelles méthodes et théories ». De retour en France, la géographe est recrutée au CNRS où elle travaille depuis 2017 sur un projet franco-allemand, DRUSEC (Drugs and Urban Security).
Drogues, sécurités et politiques urbaines
En enquêtant à Bordeaux, Berlin, Munich, Francfort et Nuremberg, la chercheuse et son équipe se questionnent sur la construction de la consommation de drogue comme un problème public et un enjeu de sécurité.
Quand il est question d’usage de drogues, la sécurité peut s’entendre de différentes façons. « Il ne s’agit alors plus de chercher des « criminels », mais il s’agit par exemple de protéger les consommateur·ices de drogues des substances qu’ils et elles consomment. Vu que ces substances sont illégales, on ne sait pas toujours ce qu’il y a dedans et on peut facilement développer des maladies ou faire des overdoses ».
Notre objectif, c’est de changer les termes du débat public.
Cartographier les émotions
Pour mener à bien ce projet, les voix des usager·es de drogues marginalisé·es doivent être entendues. Pour cela, Mélina Germes et ses collègues ont élaboré une méthodologie, la cartographie émotionnelle : « l’idée derrière cette méthode, c’est d’introduire un objet dont la personne peut se saisir, sur lequel elle peut prendre le pouvoir. » En demandant aux enquêté·es de dessiner sous forme de carte mentale les lieux qu’iels habitent (les lieux d’accueil, la rue, la prison, la famille…) et les émotions qu’iels y associent à l’aide d’un code couleur, il est possible de mieux comprendre leurs vécus au sein de la ville.
Ces cartes individuelles sont par la suite découpées et assemblées pour souligner les points communs, les différences, grâce à une grille de lecture commune afin de pouvoir en tirer une analyse. « Ce qui nous intéresse c’est de comprendre les fonctionnements des espaces de vie, les relations à l’espace de groupes d’individus hétérogènes. On travaille donc avec les émotions : elles sont d’un côté extrêmement subjectives, mais aussi socialement construites ».
« L’espace public n’existe pas »
Dans les discours médiatiques, politiques et des habitant·es, la notion d’espace public est omniprésente. Selon Mélina Germes, elle est en réalité un contresens : « ce fameux espace public que certain.es « accapareraient » ou « troubleraient » est en fait un espace dans lequel ils sont en constant danger. Ce qu’on veut mettre en avant avec ces cartes, c’est que l’espace a une multitude de significations, parfois contradictoires, mais que l’espace public n’existe pas. Cette notion sert à déligitimer l’existence même de ces personnes qui n’ont pas d’autres endroits où aller. »
Une des finalités de ce projet est de montrer que la seringue au coin d’un trottoir n’est que la partie émergée de l’iceberg, afin que celles et ceux qui habitent, qui votent, prennent conscience de l’aspect structurel de ce problème. « Notre objectif, c’est de changer les termes du débat public. Et je pense que les cartes y arrivent ».
Laura GIRARDIN
Chez elle, c’est le lieu où Mélina se sent le mieux pour travailler. « Je peux faire exactement ce que je veux, comme je veux, au rythme que je veux, que ce soit très tôt le matin ou très tard le soir… Mais jamais les deux ! ». Cela lui apporte un confort intellectuel : « pour bien me concentrer, bien réfléchir, donner le meilleur de moi-même, je suis mieux chez moi. » Elle précise qu’un autre endroit où elle se sent bien, c’est au sein de son équipe — car la recherche, c’est avant tout un travail collectif