Jeoffrey Dehez
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Loin des sentiers battus
Jeoffrey Dehez est chargé de recherche en économie à l’INRAE Nouvelle Aquitaine Bordeaux, au sein de l’unité « Environnement, territoires en transition, infrastructures, sociétés » (ETTIS). Il s’intéresse aux « activités de nature », et plus particulièrement aux usager.es de telles pratiques.
Passé l’entrée du centre INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) Nouvelle-Aquitaine Bordeaux, des bâtiments de recherche sans grande fantaisie sont disposés ça et là. Il faut emprunter des escaliers sombres pour accéder aux enfilades de bureaux rangés le long de couloirs au sol jaunâtre. Le bureau de Jeoffrey Dehez, chargé de recherche en économie à l’INRAE, est assez impersonnel. Le soleil encore bas se glisse entre les lamelles des stores ajourés et strie les seuls éléments qui trahissent l’activité du chercheur : des cartes aux tons verts de la région Nouvelle-Aquitaine. Les temps de loisirs extérieurs passés dans un espace naturel sont en effet au cœur de ses recherches. Par ses travaux, Jeoffrey Dehez cherche à optimiser les moyens dépensés par les institutions dans les activités de nature pour mieux répondre aux besoins des usager.es. Cela passe par une meilleure compréhension de ces dernier.es et de leurs pratiques, mais cette analyse dépasse le cadre de l’économie classique et nécessite les lumières d’autres sciences humaines et sociales. « Mon travail se définit aujourd’hui beaucoup plus par des sciences sociales autres que l’économie » reconnaît le chercheur pour qui l’appellation « socio-économiste » rend mieux compte de son activité de recherche singulière.
L’économie, autrement
L’étude économique des loisirs dans les espaces naturels est peu fréquente en France. La majorité des travaux à ce sujet, les outdoor studies, sont d’origine anglo-saxonne. La pluridisciplinarité est une des caractéristiques de ce domaine d’étude tant il nécessite la création de concepts économiques propres. « La notion d’échange, de substitution qui est essentielle pour beaucoup de théories économiques classiques ne peut pas s’appliquer aux activités de nature : les lieux ne sont pas toujours remplaçables » explique Jeoffrey Dehez. « Dans le cas des activités de nature, le “producteur” propose un cadre, et l’usager s’en saisit ou pas. C’est ce dernier qui produit le service, l’activité. Il est davantage question ici de co-production, de co-création que d’offre et de demande. »
« Il faut inciter les gens à passer du temps dehors. C’est vital pour le bien-être des gens, même en ville ! »
Même s’il est obligé d’avoir une réflexion de fond sur les concepts et outils à mobiliser, ses travaux ont une finalité pratique : « il faut inciter les gens à passer du temps dehors. C’est vital pour le bien-être des gens, même en ville il faut faire ça ! ». Donner des retours aux entités porteuses d’activités de nature (associations, collectivités…) est une des missions que se donnent Jeoffrey Dehez.
Un travail de terrain
« C’est une des spécificités des sciences humaines et sociales : nous sommes rarement en labo ! Il y a un risque de subjectivité à travailler au contact de la société, il faut en être conscient et faire avec ». Le chercheur ne s’en inquiète pas : « le fait de rester sur une approche quantitative comme je le fais limite ce risque ». Les publications de Jeoffrey Dehez s’appuient en effet sur des enquêtes statistiques qu’il mène lui-même. La collecte des données est une étape incontournable pour son sujet d’étude car elles n’existent pas d’elles-mêmes. Le chargé de recherche passe donc une part importante de son temps à mener des entretiens, « sur le terrain ». Il a par exemple passé le BNSSA (Brevet National de Sécurité et de Sauvetage Aquatique) pour la préparation d’une étude visant à déterminer les risques perçus par les usager.es des plages. Sa participation à un arrachage de plantes aquatiques invasives lui a également permis, en estimant plus justement la difficulté de cette tâche, de mieux penser les questions de ses entretiens sur cette activité de nature. Son approche de l’entretien, initialement très statistique, quantitative, est aujourd’hui couplée à l’approche plus qualitative de ses collègues sociologues et psychologues environnementaux qui participent à ses études.
Thomas SOULIÉ
Pour Jeoffrey Dehez, aucun lieu n’est meilleur qu’un autre pour travailler. « Nous vivons en société, alors en tant que chercheur en sciences humaines et sociales, c’est difficile de ne pas bosser tous les jours un peu ! » s’amuse-t-il à raconter. Dans sa façon de vivre son métier, « il y a cette même façon de “ se mettre en condition de ” que peut avoir un artiste ». Quand les idées ne viennent pas, « il faut travailler sur autre chose, s’oxygéner l’esprit » tout en continuant à nourrir son idée et sa curiosité.