Jean-Patrice Robin
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Cohabiter coûte que coûte : le drôle de mode de vie des manchots
La vie n’est pas toujours facile sur Terre. Cependant, quelques espèces trouvent toujours des moyens pour parer les conditions de vie difficiles auxquelles elles doivent s’adapter… Jean-Patrice Robin, directeur de recherche au CNRS à Strasbourg au sein de l’institut pluridisciplinaire Hubert Curien, nous parle des adaptations des colonies de manchots.
Froid polaire ou service militaire ?
Tout a commencé de manière assez hasardeuse. Au début de son entretien, Jean-Patrice me confie que son intérêt pour les sciences naturelles remonte au collège. Cependant, à l’époque de ses études, la question du travail n’est pas prédominante. « Il y avait encore le plein emploi, donc je suis parti en licence de sciences de la vie sans me poser de questions sur ce que j’allais faire après. Je me disais que j’allais sûrement finir professeur de Sciences de la Vie et de la Terre », nous confie le chercheur.
C’est une petite opportunité qui va changer significativement le cours de ses études : une lettre d’intention dans le cadre du service scientifique des armées, une mission d’un an mise en place dans les terres australes pour étudier la faune locale, faisant office de service militaire. Tenté par l’expérience, Jean-Patrice décide de partir. C’est lors de cette année qu’il se spécialise sur les manchots. Neuf ans après son retour, en 1991, il intègre le CNRS au sein d’une équipe dans un laboratoire de recherche spécialisé dans l’étude du métabolisme de l’animal sauvage ; laboratoire qu’il n’a plus quitté depuis.
Après quarante ans passés à travailler sur les manchots, Jean-Patrice Robin n’est plus le premier à aller sur le terrain : son expertise lui permet de superviser les travaux depuis son bureau, à Strasbourg, pendant que les applications sont confiées aux volontaires en service civique, aux doctorants et aux autres collaborateurs de son programme de recherche. Le travail s’effectue tout d’abord dans des bases scientifiques situées dans les terres australes, où s’organisent des missions de plusieurs mois. Ensuite, un travail d’analyses complémentaires s’effectue dans les locaux des laboratoires. Ces projets mobilisent un réseau important d’experts aux quatre coins de la planète. Leur objectif : percer les secrets du comportement des manchots. Les équipes françaises travaillent de pair avec des équipes écossaises, finlandaises, ou encore canadiennes. Le but de ces recherches ? Comprendre le fonctionnement écophysiologique du manchot afin de pouvoir mieux cerner ses besoins pour pouvoir réfléchir à des solutions de conservation, notamment face au changement climatique.
Ingénieux… mais teigneux !
Les manchots sont des animaux coloniaux, mais s’entendent assez peu entre eux. Avec leur caractère individualiste et agressif, il est paradoxal de les imaginer fonctionner parfaitement en colonies ! Selon Jean-Patrice, « la distance réglementaire entre deux individus dans une colonie est d’environ deux ailerons. Si les individus se rapprochent trop les uns des autres, cela peut donner lieu à des altercations. » Mais alors, pourquoi vivre en colonies si la cohabitation est si tendue ?
« Peut être que si les populations de manchots se réduisent, notamment à cause du réchauffement des océans qui rend leur accès à la nourriture de plus en plus difficile, le maintien de certaines colonies pourraient être remises en cause… ce qui pousserait les manchots à trouver un mode de vie différent pour survivre. »
La réponse est simple : la pérennité de l’espèce. Les conditions de vie étant difficiles, les manchots doivent rester en groupe pour optimiser leurs chances de survie, mais aussi celles de leurs petits. « Lorsque les adultes doivent s’absenter pendant longtemps, les petits sont réunis tous ensemble sur la banquise, formant ce qu’on appelle des crèches. Cela leur permet de se tenir au chaud pendant plusieurs jours malgré le jeûne et l’absence des parents, mais aussi d’intimider les potentiels prédateurs, comme les pétrels géants. Aucun adulte n’est chargé de protéger la crèche, mais certains restent toujours autour du groupe de petits : ceux qui ne se sont pas reproduits cette année, ceux qui ont perdu leur progéniture… Cela aide aussi à la dissuasion des prédateurs. »
L’une des hypothèses pouvant expliquer pourquoi les manchots vivent en groupe réside aussi dans leur nombre important. Jean-Patrice explique ceci en comparant les manchots à certaines espèces de corvidés. « Avant, le grand corbeau fonctionnait de la même façon que le corbeau freux, c’était un oiseau grégaire. Cependant, il a été beaucoup chassé en Europe jusqu’à la fin du XIXe siècle parce qu’il ruinait les cultures, entre autres. Aujourd’hui, il y en a beaucoup moins : ils ont donc appris à vivre en solitaire. Peut être que si les populations de manchots se réduisent, notamment à cause du réchauffement des océans qui rend leur accès à la nourriture de plus en plus difficile, le maintien de certaines colonies pourraient être remises en cause… ce qui pousserait les manchots à trouver un mode de vie différent pour survivre. »
Les laboratoires fonctionnent aussi en colonies !
La recherche autour du comportement des manchots est loin d’être terminée : du travail est encore nécessaire pour percer tous les secrets de ces animaux. Cependant, Jean-Patrice Robin est optimiste : pour lui, ce qui fait la qualité du travail, c’est la complémentarité de l’équipe. « Il n’y a pas un scientifique. Il y a des équipes de scientifiques, des gens qui ont des compétences complémentaires. Un laboratoire, c’est des chercheurs, mais aussi des techniciens, des étudiants, des ingénieurs… Et puis, il y a toute une part d’accompagnement logistique qui nous permet de travailler. Derrière chaque chercheur, il y a cinq ou dix personnes qui ont bossé comme des ânes pour que les recherches aboutissent ! »
Delphine MÉNARD
« J’aime particulièrement travailler dans notre base, sur les îles Crozet. Le mode de vie là-bas est sans contraintes, avec peu de règles administratives, cela donne une impression de liberté. Et puis, tout est à disposition dans un rayon d’un kilomètre maximum, que ce soit le lieu de vie, les laboratoires, les colonies que l’on étudie… Vivre simplement et proche de la nature, c’est ce qui rend le travail exceptionnel ! »