Habiter dans le temps

Habiter dans le temps, quels sont le passé et l’avenir de l’habitat ? Concevez comment ont évolué et vont évoluer l’architecture et les matériaux.

© Lou Deny

UNE MAISON À SOI

Les maisons individuelles sont le reflet de nos modes de vie. Une architecte, Pascale de Tourdonnet, explique quelques étapes significatives de leurs évolutions architecturales dans le temps.

« Il faut vraiment considérer l’architecture selon les faits sociaux : selon les classes sociales, la nature des logements peut être extrêmement différente » affirme Pascale de Tourdonnet. La majorité de la population vit à la campagne jusqu’à la fin du XIXe siècle. Avec l’exode rural, de nombreuses habitations populaires fleurissent en ville. Mais à partir du XXe siècle, les épidémies de tuberculose font rage. « Les populations sont toujours entassées dans des petites habitations. Avec l’exode rural, la majorité des maisons sont construites à partir des premiers matériaux à disposition par les artisans du bâtiment. » Certain∙es architectes comme Le Corbusier deviennent alors des acteurs∙trices engagé∙es dans les problématiques d’hygiène publique. « Les architectes veulent rendre les habitats salubres puisqu’il n’y avait pas souvent de lumière naturelle dans chaque pièce, pas de fenêtre et aucune ventilation, ce qui participait au développement de la tuberculose » explique l’architecte.

Quand le confort devient populaire

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la première urgence est de reconstruire les maisons détruites. Un besoin général est de reloger les populations rapidement et d’apporter un confort à tou∙tes. « La plupart du temps, ce sont des grands ensembles qui sont construits. Parfois, certaines familles se regroupent afin d’auto-construire leurs maisons permettant une valorisation de leur travail sur les chantiers. » L’un de ces mouvements est appelé Collectif des Castors Auto-Constructeurs, et vient pallier l’incapacité des membres du collectif à financer la construction d’un logement. Le premier chantier mené par ces Castors débute en 1948 à Pessac. Les changements architecturaux dans ces constructions se font surtout à l’intérieur des maisons individuelles. « À partir des années 1960, la cuisine devient une « cuisine laboratoire », un lieu réservé uniquement à la confection de plats. La transformation la plus marquante est l’arrivée des salles d’eau et des toilettes au sein même des habitations initialement placées au fond du jardin. C’est à partir des années 2000 qu’il y a une demande de pièces spécifiques pour le repas, le salon, la cuisine… » Cette expansion des maisons individuelles et celle des constructions verticales comme les barres d’immeubles, répond à la nécessité de reconstruire durant l’après-guerre ainsi qu’à l’accroissement de la population urbaine. Les maisons individuelles deviennent alors l’image de la demeure idéale : « la maison est convoitée car elle est synonyme d’un mode de vie idéalisé et également un signe extérieur de richesse ».

« Aujourd’hui, la culture architecturale est presque absente »

Actuellement, ce rapport au confort et aux besoins de chacun·e se retrouve dans l’architecture des maisons. Pascale de Tourdonnet confirme qu’en tant qu’architecte, elle aime « le rapport avec les habitant∙es des lieux lorsque je travaille à des projets de maisons individuelles ». Il s’agit de se rapprocher des besoins et des problématiques propres à chaque famille pour construire des maisons au cas par cas. Elle regrette cependant qu’aujourd’hui, la culture architecturale soit presque absente, les personnes n’ont pas le réflexe de venir consulter les cabinets d’architectes. « Pourtant, les démarches pour réaliser une maison « sur-mesure » ne sont pas plus longues et onéreuses que l’achat d’une maison standard sur un catalogue de constructeur de maisons individuelles. » La méthode de leur atelier d’architecture est de proposer un projet de maison à partir d’une rencontre avec les futur∙es habitant∙es. « Le but est de retranscrire les besoins des futur∙es habitant∙es et de les mettre en immersion à partir d’un récit : leur récit ». Pour ajouter une dimension réaliste, Pascale de Tourdonnet réalise des maquettes modulables qui ont le mérite d’être « le clou du spectacle ». Mais l’urgence, selon l’architecte serait d’arrêter l’expansion urbaine en raison de l’urgence climatique et de préserver les terrains agricoles. « Il devient indispensable de repenser la politique de la maison individuelle et de repenser le mode de production des maisons individuelles et des logements collectifs pour qu’ils permettent de vivre ensemble de manière harmonieuse. »

Lou DENY

Pascale de Tourdonnet est architecte dans l’atelier d’architecte Brachard de Tourdonnet à Bordeaux. Elle est également maître de conférences à l’École nationale supérieure d’architecture et de paysage à Bordeaux (Ensap).

© Thomas Soulié

REPENSER DE L'INTÉRIEUR LE LOGEMENT ÉTUDIANT

Philippe Lagière, maître de conférences en mécanique des fluides et des transferts de l’université de Bordeaux, est le coordinateur d’un projet de logements étudiants auto-suffisants. Ils sont prévus pour 2026 sur le campus universitaire bordelais.

Dans une petite salle de cours plus large que longue, une dizaine d’étudiant·es et de chercheurs sont réparti·es sur quatre rangées de tables et de chaises pieds rouge écarlate. Sous la lumière du vidéoprojecteur, plusieurs étudiant·es présentent à la suite des exposés de sciences politiques, d’architecture, de géographie pendant une après-midi entière. Ces étudiant·es de formations variées se sont plus ou moins engagé.es dans un projet unique : le BaityKool-in-ACT. Il vise à « développer un préfigurateur d’habitat étudiant pour réaliser à l’avenir un écovillage d’ici 2025-2026 sur le campus qui fera évoluer les modes d’habiter » explique Philippe Lagière, le porteur du projet. Maître de conférences à l’université de Bordeaux et chercheur au département Trefle (Transfert fluide énergétique) de l’I2M, l’Institut de mécanique et d’ingénierie de Bordeaux, il s’intéresse dans ses recherches aux problématiques énergétiques de l’habitat. L’exercice pédagogique et participatif du programme ACT (Augmented university for Campus and world Transition) de l’université de Bordeaux en est à ses débuts. Un bâtiment prototype d’environ 100 m² devrait voir le jour sur le campus de Talence dès 2023. Il est prévu pour être le plus économe possible en eau, intégrer une production végétale et être auto-suffisant énergétiquement : il devrait produire plus d’énergie qu’il n’en consommera.

De Dubaï à Talence

Ce projet d’habitat autosuffisant n’est pas une première pour Philippe Lagière. En 2018, il était l’un des responsables du projet BaityKool lors du Solar Decathlon de Dubaï, une compétition internationale en dix épreuves récompensant la meilleure conception et réalisation de maison solaire. La proposition innovante du BaityKool a été récompensée de plusieurs prix et d’une 3e place au classement général. Ce bâtiment expérimental est une source d’inspiration pour le projet de l’université de Bordeaux, même si des « solutions plus low tech, peut-être moins complexes à mettre en œuvre et à exploiter » sont à penser d’après le chercheur. Le principal défi de cette nouvelle entreprise est « l’acceptabilité, et la capacité à transférer » des pratiques jusqu’ici expérimentales dans le monde du bâtiment afin de les généraliser, d’où la nécessité que le premier ensemble d’habitations soit conçu et fabriqué sous l’encadrement de chercheur·es et de professionnel·les du bâtiment. Le projet est actuellement en pleine phase de concertation pour comprendre quel pourrait être l’habitat étudiant dans les prochaines années. « N’ayons pas peur de revoir la conception et l’exploitation des logements étudiants ! Nous voulons poser la question de l’intérieur et y apporter une réponse matérielle » explique Philippe Lagière qui souhaite concilier enjeux climatiques, économiques et sociaux. Mais plus qu’un simple changement des pratiques de construction, c’est une mutation d’un autre ordre qui est en jeu : « avec les techniques de fabrication, ce sont également les modes d’habiter qui doivent être revus ».

Acteur·es de nos lieux de vie

« Ce nouveau type d’habitat va nous astreindre à des contraintes » prévient Philippe Lagière. « Si l’on veut récupérer l’eau et pouvoir la retraiter, la réutiliser, il ne faudra pas utiliser n’importe quel shampoing ou n’importe quel produit détergent pour laver sa vaisselle. » L’acceptabilité de cette nouvelle façon d’habiter par les usager·es est donc primordiale. « Il ne faut pas que ce soit malheureux, triste, contraint, mais plutôt que ce soit compris, volontaire, que ce soit presque une mutation heureuse. » Pour ce faire, il faut rendre l’usager·e plus acteur·rice de son propre habitat. « Plus acteur par une meilleure compréhension des problématiques énergétiques, de l’eau, de la qualité de l’air et de confort. » Plusieurs pistes sont envisagées pour y parvenir, comme le développement d’une application qui permettrait de mieux appréhender les dépenses énergétiques des futures habitations. « Sans en faire un logement pour des savants, l’idée est d’en faire un habitat véritablement « éco-responsable ». » Pour le chercheur, cette éco-responsabilité n’est pas à la seule charge de l’habitant.e : « c’est un travail à tous les niveaux, aussi bien des occupant.es que des institutions et des constructeurs ».

Thomas SOULIÉ

Philippe Lagière est maître de conférences à l’université de Bordeaux. Il mène ses recherches à l’Institut de mécanique et d’ingénierie de Bordeaux (I2M Bordeaux) au sein du département Transfert fluide énergétique (Trefle), plus précisément dans le groupe thématique Énergétique du bâtiment et des systèmes. Ses travaux portent sur l’élaboration de nouveaux processus de conception de bâtiments en vue d’améliorer les performances énergétiques existantes.